3e parite, La Singer, les « chalets du Lac Long et les clubs des Américains
À peine sorti de la « grippe Espagnole » de 1918-20, les choses vont commencer à s’activer au lac Long. Pendant longtemps, la seule activité qui perturbait la tranquillité du lac avait été la drave. Les billots arrivaient au lac Long par le « creek Simon » (rivière Ernest) et la Petite-Nation. Ils étaient retenus à leur arrivée au lac par des estacades pour ne pas qu’ils se perdent sur le lac. On peut encore en voir les vestiges à la sortie de la rivière Ernest. Ils étaient ensuite remorqués par bateau jusqu’à l’entrée de la rivière. L’ancre d’un de ces bateaux de drave a d’ailleurs été retrouvée près de l’entrée de la rivière Petite-Nation. Mais cela allait changer avec l’arrivée de la Compagnie Singer.
La Singer à Duhamel.Source T.N.V.R
En 1923, cette compagnie est à la
recherche de bois dur pour ses machines à coudre, principalement du merisier.
Elle achète une concession de 500 miles carrés pour la somme de 500,000$. De
Thurso jusqu’au sud de Mont-Laurier, ce sera son territoire. Mais le bois dur
flotte mal. Ça tombe bien, le bois mou avait été grandement exploité par la
Edwards & Co. Elle entreprend donc
de construire un chemin de fer (exploité par la Thurso Nation Valley Railway
) reliant l’usine
de Thurso au lac Fascinant. Ce sera fait par étapes. Un premier tronçon se
rendra jusqu’au lac Iroquois en 1930. La dépression ralentira les activités
pour quelques années. Puis, la majeure partie du bois intéressant ayant été
récolté jusqu’au lac Chevreuil, on retirera les rails de cette section et on
prolongera, à partir de 1938, les rails pour finalement atteindre Duhamel en 1940.
La Singer construira des maisons pour ses employés et fera de Duhamel son
quartier général.
La 2e guerre mondiale commença à faire sentir ses effets autant sur la demande de bois spécialisé (hélices d’avion) que de matériel tels que verrous, vis, écrous en fer. En 1942, le chemin de fer sera prolongé jusqu’au mille 43, soit le « Creek à John » (entre le 3560 et 3986 ch. Du lac Gagnon ouest). On continuera le chemin de fer en 1943, du mille 43 jusqu’au mille 47. Une branche du chemin de fer se rendra aux abords du lac Long jusqu’à la plage de la Grande-Baie. On y construira le camp 15, soit un ensemble de camps de bûcherons connus sous le nom de « camps des Allemands ». À l’automne 1943, sur ordre du gouvernement, de 40 à 50 prisonniers allemands y furent transférés. La majorité étaient réellement des prisonniers, à l’exception de sept ou huit qui avaient été capturés et qui provenaient des forces armées. Comme la main-d’œuvre se faisait rare, ces prisonniers travaillèrent à la construction du ch. de fer et dans la forêt comme bûcherons allemands. Bien nourris, et sous la surveillance de bienveillants gardiens employés par la Singer, à l’exception du gardien Landriault, ex-gardien de la prison de Bordeaux, peu d’entre eux furent tentés de fuir. À la fin de la guerre, certains décidèrent de rester au Canada.
Les camps du 15 furent progressivement abandonnés par la suite. Vers 1958, les toits s’étant effondrés, mon grand-père eut l’autorisation de la Singer de prendre les billots des murs pour construire son chalet. Comme la route n’existait pas encore, ils furent flottés et remorqués jusqu’à leur lieu de destination. Je faisais partie du voyage! Malheureusement, une dizaine d’années plus tard, le chalet disparut en fumée!
En 1947, la ligne du chemin de fer sera allongée jusqu’au sud du lac Ernest et par la suite se rendra au lac Fascinant où un important camp forestier fut érigé, le camp 27. Une immense cour de triage s’étendait sur près d’un kilomètre. Les billots, empilés jusqu’à 6 mètres de haut, s’étendaient à perte de vue. Impressionnant!
Pour références dans le texte, Photo aérienne du lac Long vers 1963
Les « chalets du Lac Long
Vers 1938, un autre événement allait donner un élan touristique au lac Long. Jo Aubry acheta de Mme Cléroux plusieurs lots en bordure du lac (44 à 48 rang VI). Il revendit sa part à ses trois frères François, Ernest et Gérard. Au fil des années, François demeurera seul propriétaire jusqu’à sa mort en 1998. À l’aide d’un architecte paysager, il aménageât le terrain de façon à pouvoir construire une vingtaine de chalets d’été, un bâtiment servant « d’office », un court de tennis pouvant accueillir des championnats provinciaux, des aires de jeux multiples, une piste de danse, un dépanneur et même un four à pain pour pouvoir servir la clientèle! On ne peut imaginer, sans avoir vu les photos de l’époque, à quel point était l’aménagement. Une arche d’entrée majestueuse bornée de haies d’épinettes taillées et qui se prolongeaient pour chaque chemin d’accès aux chalets, des épinettes taillées en forme de cônes, un plongeon, un « boat house », des canots d’écorce à louer, une quantité impressionnante de chaloupes verchères numérotées, etc. Bref un ensemble digne d’un grand centre de plein air et connu sous le nom de « chalets du lac Long »! Bien sûr, il faut se rappeler qu’à l’époque, le territoire longeant la route, de Duhamel jusqu’aux Aubry, était déjà défriché et cultivé. Pour ceux qui sont observateurs, vous n’avez qu’à remarquer la grosseur des arbres.
Évidemment, leur clientèle venait de l’extérieur, surtout pour la pêche et la chasse. Beaucoup d’Américains. C’était l’âge d’or de ces activités! On y venait même en avion. Plusieurs personnes de Duhamel servirent alors de guide, dont Aurèle Nault, personnage coloré, et Hyacinthe Canard Blanc, ami autochtone de François et habile fabricant de canot d’écorce.
Chaque année, s’y déroulait une importante course de canots qui rassemblait tous les gens du village et des alentours. C’était à qui remporterait le championnat provincial! On y accueillait aussi des écoles et des groupes de scouts. Bref, c’était « la place »!
Deux autres endroits accueillaient aussi des touristes. D’abord chez Arthur Lamontagne, au sud de la Marina des Poliquin (voir photo aérienne). Ensuite, au bout du chemin, chez Lionel Éthier (voir photo aérienne), propriétaire à l’époque d’une petite épicerie à Duhamel, aujourd’hui dépanneur Serjo. Certains se rappelleront que Marcel Filion livrait le lait, la crème, la glace jusqu’au bout du chemin à cette époque! Service hors pair! Il n’y avait `qu’un seul chalet du côté est, propriété d’un aviateur du nom de Smith. Ce chalet existe encore et est, à ma connaissance, inchangé.Précision : il n’y a pas de « baie jaune », terme apparu sur certaines cartes. Il n’y a que la « côte jaune », nommée ainsi à cause de la côte de sable jaune-roux située sur la 1ère plage côté est au sud du lac.
Les clubs des Américains
Vers 1930, plusieurs clubs privés contrôlaient déjà d’immenses territoires, en vertu d’une loi de 1895 du gouvernement du Québec. Ils s’étaient vu concéder le droit exclusif de chasse et de pêche, souvent au détriment des habitants du territoire. Leurs membres provenaient majoritairement de Montréal mais beaucoup aussi des États-Unis. Le lac Gagnon n’a pas été épargné. Le territoire à l’ouest du lac et la partie nord du lac Gagnon était contrôlé par le Club Bourbonnais. Le côté nord-est appartenait au club Chapleau qui contrôlait 22 lacs. Le territoire situé au sud était sous la gouverne du Club des Douze, incluant le lac Preston. Jusque vers 1960, un bateau ne pouvait aller au nord du lac sans se faire intercepter par le gardien du Club Bourbonnais, qui habitait le grand chalet du club. La ligne de démarcation se situait un peu au nord (100m) du quai public. On peut encore y voir sous l’eau les roches qui constituaient la base d’un quai. Interdiction de circuler dans cette partie du lac si vous aviez des agrès de pêche dans votre embarcation!
Les lacs environnants subissaient le même sort, que ce soit au lac Ernest, du Sourd ou Preston, pour ne nommer que ceux-là. Sur chacun de ces grand lacs se dressait un grand chalet pouvant accueillir de 10 à 20 personnes. Un chalet séparé était attitré au gardien du club. Près du chalet principal se dressait une « glacière » ou cabane à glace, qu’on avait soigneusement garni de gros blocs de glace durant l’hiver et qu’on recouvrait de brins de scie. La glace se conservait tout l’été. C’était le rôle du gardien de voir à ce qu’il ne manque rien. Plusieurs villageois ont travaillé pour ces clubs. Comme gardien, comme guide, et aussi comme cuisinier. Avant l’arrivée du rail, le lac Du Sourd et Ernest n’étaient accessibles que par un chemin de charrette à cheval. Toute une expédition!
Mais vers 1960, le club Bourbonnais, sentant venir l’ouverture du lac à la villégiature, lâcha prise et quitta le lac, abandonnant son immense chalet. Le lac redevenait accessible à tous. Aussi, en 1960-61, les arpenteurs engagés par Québec cadastrèrent tout le lac. Partant de chez Aubry en « freighter », les équipes d’arpenteurs et des employés d’été, dont je fis partie, se rendaient à un point de départ prédéterminé. Le travail consistait à dégager la ligne de visée de l’arpenteur à la hache ou à la scie et d’en mesurer la distance avec une « chaine ». Ce fut mon premier emploi.
Et voilà, la boucle est bouclée! Les villégiateurs arrivent! La suite de la chronique vous appartient. Si vous avez des anecdotes, faits cocasses, souvenirs, photos ou autres à raconter, faites-les parvenir à info@aplg.ca . On en fera peut-être une 4e chronique si le nombre est suffisant. À vous et à nous de continuer à protéger le lac. Comme moi et ceux qui ont connu le lac avant 1960, on conserve la nostalgie de cette époque. Que ferons-nous de ce magnifique lac Gagnon ou Long. La suite nous appartient encore. Pour un certain temps!